Interrompue depuis 17 ans, la Conférence nationale des familles se tenait de nouveau le 5 et 6 octobre 2021. En présence d’experts, de représentants de collectivités publiques et d’associations, l’événement fut l’occasion d’aborder différentes problématiques telles que l’accueil et l’accompagnement des enfants et de leurs parents, les indemnisations des congés parentaux ou la pénurie de solutions de garde. Retour sur les principaux éléments.
« Agir sur le milieu qui agit sur les parents » : les élus locaux concernés
L’investissement dans les « 1000 premiers jours » de l’enfant a largement fait consensus. « Un bébé privé d’altérité, privé d’interaction affective, atrophie ses deux lobes préfrontaux et son système limbique, socle neurologique des émotions et de la mémoire » rappelle Boris Cyrulnik qui déplore « une augmentation des dépressions périnatales » et annonce la parution prochaine d’un « rapport insupportable où l’on voit augmenter les suicides de mères de bébés de quelques mois, (…) indice de désorganisation socio-culturelle ».
Pour autant, en cas d’environnement défaillant (violences conjugales, indisponibilité d’un parent, précarité sociale, accident de l’existence, dépression maternelle) « le bébé acquiert des facteurs de vulnérabilités qui sont très faciles à résilier, à déclencher, à condition de sécuriser les parents ».
Pour le neuropsychiatre, « C’est la société qui est responsable des troubles du neurodéveloppement », des inégalités sociales précoces, en n’organisant pas les conditions favorables à l’acquisition des facteurs de protection et de développement. D’où l’importance de l’action intégrée et coordonnée des acteurs sanitaires, sociaux et éducatifs de proximité dans l’accueil et l’accompagnement des parents.
Le repérage des signes de vulnérabilités par les agents sociaux, le déploiement de « chèques naissance », de « Maisons des familles », l’obtention du label « Ville amie des enfants » à l’initiative des CCAS/CIAS et des communes/intercommunalités, sont autant de réponses qui contribuent à sécuriser les parents dans cette période sensible de l’enfance contenant « les prémices de la santé et du bien-être de l’individu tout au long de la vie ».
Addictions, errance, éclatement familial, suicide, souffrances psycho-sociales … Beaucoup de défis sociaux auxquels sont confrontés les CCAS/CIAS trouvent leurs origines dans les expériences de la petite enfance.
Progresser dans l’universalité des services aux familles
Sur le plan national, les parents bénéficient désormais d’un parcours « 1000 premiers jours » composé notamment d’un entretien prénatal obligatoire au quatrième mois de grossesse, qui aurait concerné 55 % des mères en 2020. Il sera complété à compter du 1er semestre 2022 d’un entretien systémique autour des 5 semaines suivant l’accouchement pour prévenir les dépressions post-partum, selon une annonce du Secrétariat d’Etat chargé de l’enfance et des familles. Chaque année près de 100 000 femmes seraient concernées par cette dépression et resteraient isolées face à ce phénomène. A cela s’ajoute des parcours spécifiques : « notamment en cas de prématurité, avec la mise en place de nouvelles équipes mobiles permettant l’hospitalisation à domicile ou d’un congé paternité spécifique de 30 jours supplémentaires depuis le 1er juillet 2019, ou, pour les parents souffrant de troubles psychiques, avec de nouveaux moyens en direction de la psychiatrie périnatale » précise le gouvernement.
Indemnisation des congés parentaux, pénurie de solutions de garde, déficit de prévention de l’infertilité, interruption d’activité professionnelle, impacts des restes à charge…
Face aux multiples contraintes familiales soulevées lors de cette Conférence nationale, la remise du rapport « Renforcer le modèle français de conciliation entre vie des enfants, vie des parents et vie des entreprises » de Chrystel Heydemann (chef d’entreprise) et Julien Damon (sociologue), permet de dresser plusieurs préconisations, parmi lesquelles une « harmonisation de l’ensemble des congés familiaux », une réforme de la Prestation partagée d’éducation du jeune enfant (PreParE) ou encore un « droit opposable à un mode d’accueil ».
Sur le plan du rééquilibrage de l’offre d’accueil justement, la recherche d’un mode de garde reste un « parcours du combattant » pour 60% des parents relève une enquête de l’Unaf et près de 4 enfants sur 10 ne pourraient pas bénéficier d’un accueil formel. Isabelle Sancerni, présidente de la Caisse Nationale des Allocations familiales (CNAF) en a profité pour rappeler la plus-value des Relais petite enfance (REP) dans leurs missions d’information et d’accompagnement des familles et annoncé l’adoption d’un financement additionnel et un nouveau référentiel pour traduire l’élargissement de leurs missions.
Investir au moment où se forment les inégalités futures
Entre autres chiffres, on retiendra celui des 3 millions d’enfants qui continuent de vivre sous le seuil de pauvreté, issus le plus souvent de familles monoparentales et de familles nombreuses. La part des familles monoparentales augmente depuis 30 ans et concerne près d’une famille sur quatre.
Les conditions de vie de ces familles sont plus difficiles, en particulier vis-à-vis du logement, de l’accès au crédit, ou à l’emploi. Les mesures enclenchées pour venir en aide à ces familles résident, entre autre, dans le déploiement des Crèches à vocation d’insertion professionnelle (Avip) (qui souffrent néanmoins d’une coordination insuffisante avec Pôle emploi), les petits déjeuners gratuits à l’école ou encore dans le service de l’ARIPA dédié au recouvrement des pensions alimentaires (systématisé à toutes les pensions d’ici 2023) pour prévenir les impayés qui représente 18% du revenu disponible des familles monoparentales.
Parce que les parents précaires sont plus nombreux à exercer des postes à horaires atypiques, la Conférence Nationale a également donné lieu à la remise d’un « Tour de France des solutions d’accueil en horaires atypiques » réalisé par la Fédération nationale de la Mutualité Française. L’outil, destiné aux décideurs locaux, rassemble un ensemble de solutions pour mieux répondre aux contraintes de certains parents travaillant tôt le matin ou tard le soir.
Et sur le plan des initiatives inspirantes, celles de la Ville de Clichy-sous-Bois, qui comme le CCAS de Matoury (Guyane), participe à la démarche « Accueil pour tous » lancée par la Délégation interministérielle de prévention et de lutte contre la pauvreté. Pour remédier à l’isolement, l’édile évoque la mise en place d’équipes pluridisciplinaires se rendant au domicile des familles, au contact direct des parents, pour aller au-devant de leurs besoins et leur proposer des solutions sur mesure. De l’intervention du Maire de Clichy-sous-Bois, on retiendra notamment :
- la nécessité d’une volonté forte des élus locaux et de leurs partenaires (Conseil départemental, ARS, CAF) sur le déploiement d’actions innovantes, en particulier sur les communes les moins développées économiquement ;
- l’intérêt des démarches d’analyse et de réflexion stratégiques (telles que les ABS) encouragées par les Conventions territoriales globales (CTG) ;
- des professionnels formés aux questions de psychologie, de petite enfance, d’accompagnement social, de repérage des vulnérabilités ;
- la réservation de places d’accueil prioritaires aux bénéfices des familles en difficulté ;
- l’instauration de démarches d’innovation éducative, à travers la création d’un pôle éducatif favorisant les passerelles entre l’accueil collectif/individuel et l’entrée en maternelle ;
- une sécurisation des financements des collectivités (ceux ponctuels accordés dans le cadre des appels à projet n’assurant pas la pérennité des actions engagées).